LES ENFANTS DE LA LIBERTE by Marc Levy

LES ENFANTS DE LA LIBERTE by Marc Levy

Auteur:Marc Levy
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: VERSILIO


1- MOI (Main-d'œuvre immigrée).

2- FTP (Francs-tireurs et partisans).

20.

Le jour de l'an, il n'y avait eu aucune célébration, nous n'avions rien à fêter. C'est ici, au milieu de nulle part, que j'ai rencontré Chahine. Janvier avançait, déjà, quelques-uns d'entre nous étaient amenés devant leurs juges et pendant qu'un semblant de procès se déroulait, une camionnette venait déposer leurs cercueils dans la cour. Ensuite il y avait le bruit des fusils, la clameur des prisonniers, et le silence retombait sur leur mort et la nôtre à venir.

Je n'ai jamais connu le véritable prénom de Chahine, il n'avait plus la force de le prononcer. Je l'ai surnommé ainsi parce que les délires des fièvres qui agitaient ses nuits le faisaient parfois parler. Il appelait alors à lui un oiseau blanc qui viendrait le libérer. En arabe, Chahine est le nom que l'on donne au faucon pèlerin à robe blanche. Je l'ai cherché après la guerre, dans la mémoire de ces moments.

Enfermé depuis des mois, Chahine mourait un peu plus chaque jour. Son corps souffrait de multiples carences et son estomac devenu trop petit ne tolérait même plus la soupe.

Un matin, alors que je m'épouillais, ses yeux ont croisé les miens, son regard m'appelait en silence. Je suis venu vers lui, et il lui fallut réunir bien des forces pour me sourire ; à peine, mais c'était un sourire quand même. Son regard s'est détourné vers ses jambes. La gale y faisait des ravages. J'ai compris sa supplique. La mort ne tarderait pas à l'enlever d'ici, mais Chahine voulait la rejoindre dignement, aussi propre qu'il soit encore possible. J'ai déplacé ma couche vers la sienne, et la nuit revenue, je lui ôtais ses puces, arrachais dans les pliures de sa chemise les poux qui s'y logeaient.

Parfois, Chahine m'adressait un de ses sourires fragiles qui lui demandaient tant d'efforts, mais qui disaient merci à sa façon. C'est moi qui voulais tant le remercier.

Quand la gamelle du soir était distribuée, il me faisait signe de donner la sienne à Claude.

– À quoi bon nourrir ce corps, puisqu'il est déjà mort, murmurait-il. Sauve ton frère, il est jeune, il a encore à vivre.

Chahine attendait que le jour s'en aille pour échanger quelques mots. Il lui fallait probablement que les silences de la nuit l'entourent pour retrouver un peu de force. Ensemble dans ces silences, nous partagions un peu d'humanité.

Le père Joseph, l'aumônier de la prison, sacrifiait ses tickets de rationnement pour lui venir en aide. Chaque semaine, il lui apportait un petit colis de biscuits. Pour nourrir Chahine, je les émiettais et le forçais à manger. Il lui fallait plus d'une heure pour grignoter un biscuit, parfois le double. Épuisé, il me suppliait de donner le reste aux copains, pour que le sacrifice du père Joseph serve à quelque chose.

Tu vois, c'est l'histoire d'un curé qui se prive de manger pour sauver un Arabe, d'un Arabe qui sauve un Juif en lui donnant encore raison de croire, d'un Juif qui tient l'Arabe au creux de ses bras,



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